Il est lové dans un carton, mélangé à une vieille veste matelassée, une paire de chaussettes propres, un casque, un nécessaire plastifié d’entretien des protections auditives. La veste d’un côté, le pantalon de l’autre, c’est mon bleu.
Je le trimballe dans son carton, d’un chantier à l’autre, au gré de mes bureaux de passage, un vestiaire portatif ! Mon bleu a changé plusieurs fois de couleurs, bleu Sollac, gris et rouge Arcelor, orange ArcelorMittal, couleurs intenses, couleurs fanées par les lavages ; il a changé de formes, combinaison empruntée, trop grande et ajustée par une ceinture de cuir, veste aux manches retournées, pantalon devenu trop court ; il a même changé de tissu pour résister à la chaleur.
Mais c’est toujours mon bleu. J’aime ses trop nombreuses poches où je perds lunettes, gants, clés, papiers, stylos, téléphone, masque et bouchons ; j’aime qu’il soit souple d’avoir été porté ; j’aime qu’il soit marqué de graisse, de poussière, qu’il ait vécu l’usine avec moi. J’aime le sourire qui vient quand il a fini de dormir dans son carton, quand il devient à nouveau ma seconde peau, sidérurgiste.
J’ai vu un manteau de fée
Aux épaules du géant brun
Un plumetis d’étincelles
Dans le noir absolu
Le flux soyeux d’étoiles
Murmurait au silence
Un chant de genèse,
Dans la grande halle,
La naissance de l’acier…
Mes pas résonnent sur la passerelle, rythme élastique au milieu de la halle. Je sais les cylindres nus à gauche, les empoises à droite, la rumeur du laminage dans mon dos. Tout se concentre en une petite lumière bleue, qui me devance et danse sur la tôle larmée. Je guette son apparition, la regarde grandir puis s’éteindre, ainsi va toute vie…
Je jette un coup d’œil à l’immense paroi de l’atelier ;
la bande translucide où filtre le jour vitreux
demain me donnera
de croiser encore
cette lueur
qui m’apprend la sagesse…